La reconnaissance du droit à une indemnisation intégrale du dommage corporel
Par un arrêt du 23 avril 2024 (Cass. crim., 23 avr. 2024, n°23-81.506), la Chambre criminelle de la Cour de cassation est venue rappeler avec force le principe fondamental de la réparation intégrale du préjudice corporel.
Selon une jurisprudence constante, la victime d’un accident doit être replacée, autant que possible, dans la situation qui aurait été la sienne si l’accident n’avait pas eu lieu. Cette exigence implique que tous les postes de préjudice soient pris en considération, sans qu’aucune perte ne demeure à la charge de la victime.
Dans cette affaire, la Cour était saisie d’une question essentielle : celle du remboursement des frais nécessaires à l’acquisition d’un véhicule adapté aux besoins d’une victime lourdement handicapée. La décision apporte une clarification bienvenue sur les critères d’indemnisation applicables à ce poste particulier du dommage matériel lié au handicap.
Les faits : un accident ayant entraîné un handicap nécessitant un fauteuil roulant
La victime, Mme W., a été percutée sur un passage piéton par un véhicule, ce qui a entraîné de graves séquelles motrices. L’expertise médicale a confirmé la nécessité d’un fauteuil roulant manuel et d’un fauteuil roulant électrique pour ses déplacements quotidiens.
Cependant, la cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 3 février 2023, avait refusé de lui accorder une indemnisation au titre des frais de véhicule adapté, considérant que le véhicule dont elle disposait (un 4×4) permettait déjà le transport d’un fauteuil pliant dans le coffre. La juridiction avait estimé qu’il n’était pas démontré que l’acquisition d’un véhicule spécifique de type Kangoo TPMR (Transport de Personnes à Mobilité Réduite) était nécessaire.
Le raisonnement de la Cour de cassation : la nécessité d’un véhicule adapté découle du handicap constaté
La Cour de cassation censure cette décision, rappelant que la juridiction du fond doit tirer les conséquences de ses propres constatations. En effet, après avoir reconnu que la victime avait besoin d’un fauteuil roulant électrique, la cour d’appel aurait dû admettre que ce matériel nécessite un véhicule spécialement aménagé pour le transporter.
Autrement dit, le besoin d’un véhicule adapté constitue une conséquence directe et certaine du handicap fonctionnel résultant de l’accident. En refusant de le reconnaître, la cour d’appel a méconnu le principe de réparation intégrale, consacré à l’article 1240 du Code civil, qui impose la réparation de tous les dommages, sans perte ni profit pour la victime.
L’arrêt précise ainsi que le juge ne peut refuser l’indemnisation d’un poste de préjudice dès lors que les éléments du dossier démontrent son caractère nécessaire à la compensation des conséquences du handicap.
Les critères d’indemnisation des frais de véhicule adapté
La décision du 23 avril 2024 réaffirme la méthodologie que les juridictions doivent suivre pour évaluer les frais de véhicule adapté. Trois critères se dégagent :
- La réalité du besoin fonctionnel : la victime doit justifier d’un besoin concret de véhicule adapté à son handicap. L’utilisation d’un fauteuil roulant, notamment électrique, suffit à démontrer la nécessité d’un aménagement spécifique.
- La proportionnalité du coût : le montant de l’indemnisation doit correspondre à la différence entre le coût du véhicule standard et celui du véhicule adapté, ainsi qu’aux frais d’aménagement nécessaires (rampes, fixation du fauteuil, systèmes de levage, etc.).
- Le lien de causalité direct avec l’accident : la dépense doit découler directement de l’atteinte à l’intégrité physique subie.
Ces critères permettent d’assurer que la réparation reste intégrale mais équitable, sans excès ni insuffisance.
Une décision conforme à la finalité du droit du dommage corporel
Cet arrêt s’inscrit dans la droite ligne du principe de réparation intégrale qui gouverne le droit du dommage corporel. La Cour veille à ce que la victime ne supporte aucune conséquence économique de son handicap et puisse retrouver une autonomie maximale dans sa vie quotidienne.
En retenant que la nécessité d’un véhicule adapté résulte du besoin d’un fauteuil roulant électrique, la Haute juridiction rappelle la cohérence qui doit exister entre les constatations médicales, les besoins matériels et l’indemnisation accordée.
Cette décision a une portée pratique importante : elle renforce la protection des victimes lourdement handicapées, souvent confrontées à des frais d’adaptation élevés et parfois insuffisamment pris en compte par les assureurs ou les juridictions du fond.
Une clarification salutaire pour la pratique indemnitaire
La Cour de cassation apporte ici une clarification essentielle : le poste relatif aux frais de véhicule adapté doit être indemnisé dès lors qu’il existe un besoin justifié, indépendamment de la possession antérieure d’un véhicule.
Cette approche met en lumière la philosophie du droit du dommage corporel : réparer sans négliger aucun aspect du préjudice. En sanctionnant la cour d’appel pour avoir limité l’indemnisation, la Haute juridiction rappelle que la victime doit être pleinement indemnisée, conformément à la finalité protectrice de ce contentieux.
Le mot de la fin sur l’indemnisation des frais de véhicule adapté
En définitive, l’arrêt du 23 avril 2024 s’inscrit dans une jurisprudence constante mais exigeante : celle qui fait primer le principe de réparation intégrale sur toute considération restrictive.
L’indemnisation des frais de véhicule adapté ne constitue pas un luxe mais une nécessité vitale pour garantir à la victime une véritable autonomie et une dignité préservée.
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